jeudi, juillet 23, 2009

Encore merci

Merci les filles, merci Kalys, merci Maloriel, merci Yavine d'être là, merci pour l'affection et l'attention. Oui merci Kalys pour ton message.
Ce sera un message de remerciements ce soir comme pour les Oscars ou les Gérards, un message plus gai que les précédents.
Maloriel je vais essayer de te répondre.

Il y'a quelques semaines j'étais en congrès et nous discutions dans un resto entre jeunes collègues de tout et de rien et l'un d'entre eux a dit qu'il avait trois obsessions : les maths, le sexe et la politique. La discussion a dévié sur la plus malsaine de ces obsessions : la politique.
Aujourd'hui en y repensant je crois que j'ai les mêmes obsessions. Mais pour moi, la politique c'est autre chose et je vais continuer mes remerciements et développer.

Alors, oui je crois que la politique c'est changer la vie et je crois que c'est une tâche trop importante pour qu'elle soit confiée à des politiciens professionels. Des gens qui vous changent l'existence, j'en ai connu.

Il y'a bien sûr votre famille, les gens que vous aimez. Parmi eux je pense à mon grand-père qui a été le père que je n'ai jamais eu. Ce Monsieur très dur, très simple, ce paysan (et pour moi c'est un mot magnifique que paysan) m'a appris à grandir, à me battre, il m'a enseigné le refus, ne pas faire de concessions, ne pas trahir ses idéaux jamais. Grâce à lui je sais le bonheur de toucher la terre, je sais combien il faut rester humble, s'effacer devant la nature, l'aimer, l'écouter. Il m'a donné le goût du travail et de l'effort, du dépassement de soi. J'ai grandi dans un milieu modeste, je le dis assez souvent non pour me plaindre mais parceque j'aime les miens et que ce milieu a ses fiertés, ses solidarités que j'ai été très heureux chez moi, peu de matériel mais beaucoup d'amour. Ca c'est l'héritage et il vous construit politiquement, je n'aime pas ces cons qui disent qu'il faut se mettre au niveau du peuple et lui parler comme des veaux, je hais le langage familier et volontairement popu. A la maison mon grand-père qui votait communiste aimait aussi De Gaulle, Miterrand, Rocard, Delors, Badinter et même Barre ou Simone Weyl parcequ'ils parlaient posément un excellent français et lui qui n'avait jamais fait d'études se sentait respecté. Qu'aurait-il pensé de nos gouvernements actuels?
Je n'aime pas cette gauche qui ne parle plus au peuple qui le méprise parcequ'il vote mal ou qu'il ne vote plus.

Après la figure du paternel il y a les profs, au lycée j'ai eu deux profs magnifiques. En seconde, une terreur Madame Gil, les élèves étaient divisés, moi je l'aimais, elle était sévère cinq élèves sur trente avait la moyenne, mais quel bonheur ses cours de littérature. A 15 ans découvrir Ionesco, ça m'a chamboulé. Cette prof m'a donné les armes pour structurer mes révoltes adolescentes. Elle ne faisait pas de cadeau mais avec le recul je me rends compte qu'à ceux qui ont écouté elle a mis de la poudre dans le cerveau, ce n'était pas de l'endoctrinement mais juste une boite à outils et un éveil. C'est ça aussi, un enseignant exigeant peut former des libertaires, leur donner des armes, ne pas être des légumes c'est la grandeur de notre école et c'est pleinement politique.
Et puis elle m'a dit ce truc formidable et prémonitoire "Toi David, ne tombe pas amoureux, tu es tellement sensible qu'une fille te briserait le coeur et foutrait tes études en l'air", ça a fait rire la classe. J'en ai connu des minettes qui m'ont fait mal mais tant pis je vous aime trop et je ne regretterai jamais tout ce bonheur qu'on peut se donner. Ok ça n'a rien de politique mais c'est important et ça me fait encore rire.

Et que dire de la prof de philo de terminale, Mademoiselle Abécassis, ses cours m'ont aidé à me construire en tant qu'individu, je lui suis infiniment reconnaissant, faire passer Kant, Hegel et Nietzche à des gamins quel défi. J'ai compris ses cours 3-4 ans plus tard en plein désarroi psychologique, quand j'ai lu Dostoievski et Camus j'ai repensé à tout ce qu'elle nous avait dit sur le bonheur, l'existence et ça m'a sorti du trou. Ses cours m'aident encore aujourd'hui, j'ai appris à me méfier des théories dites closes comme la psychanalyse par exemple qui fait passer beaucoup de critiques pour du refoulement. Alors ça m'aide pour critiquer politiquement le socialisme, le néo-libéralisme ou d'autres modèles de pensée qui prédisent la fin de l'histoire, donc la nécessité de ne rien faire si ce n'est des réformettes ou des ajustements car aucun autre système ne peut marcher (c'est le fameux TINA des libéraux there is no alternative). C'est aussi utile pour critiquer la manière dont la science fonctionne, les dérives en physique comme la foi presque absolue en la théorie du Big Bang ou la théorie des cordes. Alors ce qu'a fait cette prof pour moi en me donnant les moyens de comprendre mes détresses en me donnant un outil critique ça n'a pas de prix et c'est aussi un choix politique.

Et puis il y a un prof de fac Monsieur Cérezo dont la mort il y a quelques années alors que j'étais en poste à Barcelone m'a bouleversée. Je l'ai eu toutes les années jusqu'en maitrise, j'adorais ses cours, je me mettais au premier rang, je ne prenais pas de notes, j'écoutais et lui me souriait et il me racontait une histoire. La grande histoire des maths, c'était dur, exigeant mais ça m'élevait intellectuellement. C'est le meilleur prof que j'ai jamais eu.

De tout cela que reste t'il? Justement ce qu'il me reste, c'est mon engagement en tant qu'enseignant-chercheur. Le fait que contrairement à beaucoup de collègues même si je suis farouchement opposé aux réformes actuelles, jamais je ne déserterai les salles de cours contre les étudiants. Je l'ai déja écrit ici, je dois beaucoup à l'école et à l'université et s'il n'y avait pas eu ces profs qui ont été si sérieux, si passionnants je ne ferai pas ce boulot. Alors par solidarité pour les étudiants qui sont dans la merde et pour la grandeur de ma mission je ne ferai pas passer ma carrière avant. Il fallait une grève de la recherche ou des actions plus violentes mais pas ne pas être devant ceux qui ont besoin de nous ou retenir leurs notes. Et puis je l'ai déjà dit je n'ai aucune solidarité de classe avec certains collègues.

Et il y a aussi un grand chirurgien qui m'a permis de marcher. Ca a été l'un des grands patrons de la chirurgie orthopédique pour enfants en France et lui ne demandait pas de dessous de table pour opérer et il ne traitait pas les familles et les enfants du haut de son poste de chef de clinique, de grand prof d'université. Il avait été très malade enfant et il en gardait les séquelles et il donnait tout car il connaissait le coût de la douleur et du handicap. Quand on pense aux médecins qui refusent les malades sous CMU...

Il y a ceux qui vivent d'héritage, on est médecin, avocat ou prof comme papa ou maman. Et ceux qui vivent leur boulot comme un sacerdoce, pour qui enseigner, transmettre, faire un mur, planter des patates, faire des théorèmes ou écrire des poèmes c'est un jeu mais c'est un jeu qu'on fait à fond. Alors il faut choisir son camp et j'ai choisi le mien et je veux en être digne. C'est con mais quand je réussis mon cours ou qu'un étudiant me dit merci, que je trouve un théorème je pense à mon grand-père et je me dis qu'il aurait été heureux que je fasse le boulot comme il doit être fait c'est-à-dire du mieux que l'on peut. Et ça c'est un acte pleinement politique.

Une société ou les seules valeurs sont la consommation, la croissance, le pouvoir d'acheter des conneries, les héros sont le footballeur ou la jolie conne qui suce mieux que les autres est une société de porcs. Ionesco nous voyait en rhinocéros mais nous devenons des porcs et il faut lutter contre ça et c'est d'abord une lutte individuelle.
Je suis un animal politique, je hais le pouvoir, je ne milite pas, je ne porte aucun drapeau même si je pleure parfois connement en chantant la Marseillaise, mais la politique politicienne des partis ou le pouvoir en tant qu'anarcho-gaucho-écolo-comique c'est pas pour moi. Mais quand même, merde j'en veux à mort à la gauche entière de ne plus penser, de ne pas écouter ses intellectuels de Badiou à Stiegler. Je lui en veux de ne plus faire d'idéologie alors que tout se casse la gueule, je lui en veux de prôner des ajustements d'un système pourri pour garder des positions d'élus. Je lui en veux d'être une bande de barons, bourgeois et suffisants. J'en veux au PS, mais j'en veux aussi aussi aux autres partis de gauche de toujours servir la même soupe. Quant à la droite vous devinez ce que je peux en penser.

Voila Maloriel je ne sais pas si ça répond à tes questions, désolé pour ce trop long message. Je te fais de gros bisous.