jeudi, octobre 26, 2006

Universités

J'ai lu sur le site de libé le témoignage d'un étudiant, ce témoignage m'a fait bondir. Je vais reprendre point par point les affirmations de cet étudiant :

1) les profs de fac sont les 1ers à faire grève pour défendre leurs intérêts : j'ai été très surpris, à quand remonte la dernière grève suivie des enseignants de fac? Je suis depuis 1993 dans le supérieur comme étudiant puis comme enseignant-chercheur, jamais je n'ai connu une "vraie" grève du personnel enseignant. Les syndicats appellent souvent à la grève, c'était le cas il y'a deux ans, un mercredi après-midi, ce jour là j'étais en classe une craie à la main comme l'immense majorité de mes collègues. Et il ne s'agissait pas de défendre nos salaires mais l'emploi des jeunes chercheurs c'est-à-dire de nos étudiants. Par contre il me semble qu'au cours de ces 3 dernières années nous ayons connu deux longues grèves estudiantines. J'en déduis donc que soit il s'agit du foutage de gueule d'un étudiant frustré ou alors que les collègues non-scientifiques sont de vrais glandos.

2) les profs sont tous syndiqués : me voilà donc encarté, je suppose que les 92% de mes collègues non-syndiqués (c'est le chiffre exact à + ou - 2% dans mon UFR) apprécieraient aussi. Là encore foutage de gueule à moins que les collègues non-scientifiques soient tous syndiqués.

3) les profs ont une culture de bolchevique : encore une fois merci, je ne peux pas nier que la grande majorité des collègues soient de gauche en sciences, mais là encore les choses sont plus subtiles et une grande partie des collègues que je cotoie dans une fac historiquement à gauche ne fait plus confiance au personnel politique communistes y compris, nous avons tous cotoyé et cotoyons au quotidien des gens qui ont fui les anciens régimes des pays de l'est ou la Chine. Maintenant je suis désolé si je préfère des personnalités comme Einstein à Sarkozy ou Feynman à Estrosi ou Galois à Devedjian. Sans doute les étudiants pensent-ils que Einstein, Feynman ou Riemann sont d'ancien numéros 1 du PCF, car dès qu'un prof cite un people il ne peut être que communiste.

4) les profs sont des glandos : les étudiants n'ont pas conscience que nous avons une triple casquette, enseignant, chercheur et aussi administratif que vu l'état financier et les moyens des facs tout est très difficile d'autant plus que l'administration est très lourde. Il y'a certes des gens qui ne font pas grand chose, mais je peux garantir que beaucoup bossent très dur et que pour un enseignant-chercheur les 35 heures voire les 39 c'est de la rigolade et ce sera pour une autre vie.

5) les profs font mal leur boulot : là je dois dire que oui et que je suis très mal à l'aise et de plus en mal à l'aise avec les étudiants de 1ère et de 2ième année de licence. Nous essayons de faire notre boulot de formation par la recherche mais c'est un échec car ce n'est pas ce qu'attend le public étudiant. Ce qu'aimeraient les étudiants c'est une prolongation du lycée et je comprends car le lycée forme peu à l'université. Ils voudraient plus d'encadrement, mais les heures de tutorat sont désertées, l'absentéisme en cours et en td est très important.
Je crois que le malaise vient d'un mensonge initial, tous les bacheliers ne peuvent pas faire des études universitaires, en sciences certains ont trop de lacunes y compris et surtout sur les fondamentaux, combien ne savent pas écrire, ont du mal à s'exprimer, manquent de culture, ne savent pas calculer, c'est affolant. Pour ces jeunes là il faudrait les orienter dans des parcours professionnels d'entrée ou que l'on nous donne les moyens de faire une année de remise à niveau.
Les étudiants sont perdus face à l'enseignement universitaire, ce n'est pas en leur apprenant à faire un CV qu'on va changer les choses, il faut une révolution au niveau du lycée.
Je suis prêt à rendre compte des débouchés de mes filières, ça ne me fait pas peur, mais avec une licence en sciences on ne fait rien et un scientifique convenable c'est au niveau master et là il y'a des débouchés et là se trouve le vrai savoir-faire des facs de sciences, les métiers de demain, l'innovation et tout ce qui fait bander les politiques. Mais peu de bacheliers scientifiques ont les épaules assez solides pour de telles carrières.
Je suis prêt à avoir des enseignements financés par de grosses entreprises comme peuvent l'être énormément de projets de recherche. Il faut qu'on arrête avec le mythe de l'universitaire ennemi de l'entreprise quand nos labos sont financés grâce aux contrats avec le privé. Le blocage ne vient-il pas des syndicats étudiants?
Je n'ai jamais été autant évalué, surveillé, quid de l'image du chercheur qui ne rend pas de compte à la société? Nous perdons notre temps à remplir de la paperasse pour obtenir du fric public, on est plus surveillés qu'un chercheur Britannique voire Américain. J'attribue ça au fait que nos dirigeants ne connaissent pas le milieu universitaire en France et encore moins à l'étranger et qu'ils s'en méfient.
Je serai prêt à investir du temps à aider les étudiants à s'orienter à aller faire de la vulgarisation, à de nouveau repenser tous les programmes. Mais dans le système actuel, je ne peux pas, je n'ai déjà pas assez d'heures pour dormir.

Bref j'ai trouvé le discours de cet étudiant tellement caricatural....ça ne m'étonne pas, beaucoup d'étudiants sont dégoutés très vite par la fac et véhiculent des clichés colportés par les médias voire leurs proches et comme la plupart n'ont pas accès à l'envers du décor, ils ne voient que des profs surmenés et eux aussi dégoutés. Je ne blame pas les étudiants, ils sont les victimes d'un système devenu inégalitaire et auquel on ne donne pas les moyens de se développer ou de se réformer. Je rêve d' universités Françaises qui ressemblerait aux universités Allemandes, Espagnoles, Suisses.....mais aucun gouvernement n'a eu le courage de cette mise à niveau et de l'abandon de la dichomotie fac-grandes écoles+IUT, trop de conservatisme et de corporatisme.

Pour conclure, l'an dernier un étudiant de 1ère année m'a demandé s'il était vrai que les chercheurs ne trouvaient jamais rien, j'ai été très surpris car là encore c'est du pur cliché, je lui ai expliqué le fonctionnement de la recherche et lui ai conseillé de discuter avec ses profs de physique ou de chimie de la recherche dans ces domaines. Ce qui m'a achevé c'est que c'est son prof de lycée qui lui a mis ça dans le crane. Cet exemple illustre l'échec de tout un système et je le constate aussi au niveau très faible du capes, du moins en maths. C'est catastrophique car ces futurs profs seront incapables d'enseigner des concepts de base convenablement.